Matthieu INTRODUCTION
INTRODUCTION
Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ… C'est par ces mots que s'ouvre l'Evangile selon Marc, le plus ancien sans doute de nos quatre évangiles.
« Evangile » est un mot aux résonances multiples. A l'origine, le mot grec euaggelion, qu'on s'est généralement borné à transcrire « Evangile » en français et que la présente traduction rend par bonne nouvelle, désigne l'annonce d'un événement heureux, et en particulier la proclamation d'une victoire. Dans le Nouveau Testament, où il apparaît plus de soixante-dix fois, il se rapporte à la bonne nouvelle du salut, celle de la victoire remportée par le Christ.
Pour beaucoup, lire l'Evangile, c'est lire le Nouveau Testament, voire la Bible tout entière. Abus de langage, certes, mais qui recèle une large part de vérité. L'Evangile n'est-il pas pour les chrétiens le point culminant de toute la révélation divine ?
Reste que « l'Evangile » se dit aussi au pluriel : il se présente sous les noms de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean. Et nous voilà avec quatre évangiles, quatre communiqués de victoire, ce qui est pour le moins surprenant.
La question se pose donc : pourquoi quatre évangiles ? L'Eglise ancienne, pour faire droit à plusieurs tendances en son sein, aurait-elle admis des versions concurrentes du message ? A-t-il fallu compléter le texte de Marc par celui de Matthieu, de Luc ou de Jean ?
Au commencement : Jésus de Nazareth
C'est l'évidence, mais il convient de le souligner : pas d'évangiles sans Jésus de Nazareth. Un homme, une vie dont on ne peut pas tout dire, à telle enseigne que le quatrième évangile s'achèvera sur cette remarque : Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses ; si on les écrivait en détail, le monde même, j'imagine, ne pourrait contenir les livres qu'on écrirait (Jn 21.25).
Cependant, à partir de l'événement le plus terrible et le plus fondateur – la crucifixion du Maître, d'où jaillit la parole inouïe de la résurrection (Mc 14 à 16/ /) – le désir et la nécessité du récit remontent le temps : on rapporte les conflits de Jésus avec ses adversaires (Mc 7), ses actes libérateurs (Mc 1–2), son enseignement (Mt 5–7 ; 13), ses rencontres avec des gens de toutes conditions, comme la pécheresse (Lc 7.36-50), le jeune homme riche (Lc 18.18-30), Zachée le collecteur des taxes (Lc 19.1-10), Nicodème le sanhédrite (Jn 3). On s'intéresse à sa vocation et au début de son ministère (Mc 1/ /), et même parfois à son enfance et à sa naissance (Mt 1–2 ; Lc 1–2).
Des témoins qui racontent
Nous sommes sur le parvis du temple de Jérusalem, dans la cour qui est accessible aux non-Juifs. La foule des pèlerins venus de toutes les parties du monde romain se presse autour des tables où l'on change l'argent païen en monnaie admise dans l'enceinte sacrée, et où l'on achète des animaux pour les sacrifices (voir aussi Dt 14.22ss). Pour éviter de contourner l'aire du temple, des porteurs de fardeaux se fraient un chemin entre les groupes rassemblés autour de leurs rabbis. Ici et là les gens s'écartent devant des prêtres aux habits somptueux et à la démarche solennelle, des scribes au front grave. Soudain, un jeune rabbi se met à renverser les tables : il tonne, bouscule les marchands, effraie les animaux, créant un désordre indescriptible. Au nom de Dieu, il déclenche un scandale inouï dans la maison de Dieu (cf. Mc 11.15ss/ /).
Une fois passés les premiers instants de stupeur, que feront les témoins de la scène ? Rentreront-ils tranquillement chez eux, comme si de rien n'était, sans rien dire ? Impossible ! Et que feront ceux qui les auront entendus, sinon réfléchir à ce qui s'est passé et en parler à leur tour ?
Ainsi s'écrivent les premiers fragments d'évangiles. Non pas sur du papyrus ou des parchemins, mais dans la mémoire des foules. On appelle cette étape « tradition orale ». C'est la période où l'histoire de Jésus circule de bouche à oreille, par bribes (un miracle ; une parabole ; une petite phrase etc.). Les prédicateurs en font usage, soulignant les traits qui correspondent aux besoins particuliers de leur communauté. Certes, nous sommes enclins à nous méfier d'un tel mode de communication, dans la mesure où, aujourd'hui, l'écrit seul nous paraît digne de foi. Mais il n'en était pas ainsi à l'époque. Il est d'ailleurs bien établi que des procédés mnémotechniques élaborés rendaient très fiable la transmission orale. De plus, il est probable qu'on commença d'assez bonne heure à coucher par écrit ces fragments de tradition orale.
Des traditions qui se regroupent
Que se passe-t-il lorsque, entre amis, quelqu'un commence à évoquer des souvenirs ? C'est l'inévitable enchaînement. Un souvenir en appelle un autre. Il s'opère souvent, d'ailleurs, une sorte de classification spontanée. Pour les évangiles en construction, quelque chose d'assez semblable a dû se produire. Quelqu'un racontait un miracle et celui qui avait entendu un récit analogue s'empressait de l'ajouter. Les prédicateurs recueillaient et classaient. Ainsi se sont sans doute regroupés les récits de miracles, les paraboles et les discours de Jésus. Systématisation qui allait rendre la narration plus facile à suivre, donc plus commode pour l'enseignement.
Un Evangile à proclamer dans le monde entier
La tradition orale dépend largement des premiers témoins et de ceux qui les ont entendus raconter ce qu'ils ont vu. C'est le poids des témoins et leur accord qui confèrent à la tradition orale sa fiabilité.
Un temps arrive où les témoins oculaires viennent à disparaître. Il devient donc nécessaire de fixer par écrit ce qu'on avait d'abord transmis oralement. Ainsi l'histoire sera préservée. En outre, la forme écrite facilitera la propagation de l'Evangile. A Ephèse, à Corinthe, à Rome, on pourra non seulement l'entendre, mais aussi le lire.
De l'Evangile aux évangiles
Peut-on préciser davantage comment se sont constitués nos quatre évangiles ? Une illustration familière aidera peut-être à s'en faire une idée.
Quatre amis partent visiter l'Orient biblique. Chacun a le projet de réaliser un montage audiovisuel à partir des images qu'il aura prises. Tandis qu'ils arpentent les sites célèbres, les prises de vues se succèdent. Eventuellement, on enregistre quelques commentaires donnés par le guide.
Au retour, il faut procéder au dépouillement. Il convient d'abord de trier les documents, en regroupant les vues d'un même lieu : ici Jérusalem ; là le désert de Juda ; là encore le lac de Tibériade. Puis il s'agira de classer dans un ordre déterminé, non seulement les photos à l'intérieur de chaque dossier, mais encore les dossiers entre eux. Faut-il commencer par la Galilée ou par Jérusalem ? Quand chaque dossier, chaque document aura trouvé sa place, il ne restera plus qu'à réaliser le montage. Moment très important, où il faudra se poser ces questions fondamentales : Quel est le public visé ? Que veut-on lui dire ? Ainsi, un montage destiné à un public connaissant déjà les lieux n'aura pas la même présentation qu'un autre qui s'adresserait à un groupe ignorant tout du pays.
Au moment de rédiger, les auteurs des évangiles se sont pareillement trouvés devant des dossiers – en fait des morceaux d'évangile – qui avaient déjà circulé sous forme de tradition orale. Il y avait fort probablement des dossiers « paroles de Jésus », « miracles », « paraboles », « récits de la Passion », et ainsi de suite. Chacun, en fonction du public auquel il devait s'adresser et du but qu'il visait, a choisi dans ces dossiers les documents qui lui paraissaient les plus adéquats. Il les a classés suivant son dessein. Enfin il a rédigé son commentaire.
Les ressemblances entre les évangiles (voir le tableau p.${0000xsynopt}) proviennent du stock de documents disponibles. L'Evangile selon Marc est probablement le premier des quatre montages. Matthieu et Luc se sont largement inspirés de sa trame. Il y a en effet entre ces trois évangiles une incontestable ressemblance. C'est pour cette raison qu'on les nomme synoptiques (du grec sunopsis, vue commune). Outre l'Evangile selon Marc (ou du moins un état ancien de celui-ci), Matthieu et Luc ont peut-être utilisé une autre source, rapportant principalement des paroles de Jésus (voir « Un document caché dans l'Evangile selon Luc ? », p.${0000xdocluc}). Quant au quatrième évangile, il se classe nettement à part. Jean a dû disposer de son propre lot d'informations, même s'il n'ignore pas les traditions synoptiques. A l'accumulation d'images traitées brièvement – c'est plutôt le style des synoptiques – il substitue volontiers le discours et le commentaire sur l'événement.
A la fin du processus de rédaction, on obtient quatre montages différents : quatre évangiles. Inutile, voire périlleux, de chercher à les superposer. Respecter les évangiles, c'est laisser à chacun son caractère propre.
Une reconstitution confirmée
Luc, dans le prologue de son évangile, s'en explique ainsi : Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des faits qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la Parole, il m'a semblé bon, à moi aussi, après m'être informé exactement de tout depuis les origines, de te l'exposer par écrit d'une manière suivie, très excellent Théophile, afin que tu connaisses la certitude des enseignements que tu as reçus (Lc 1.1-4).
Ces versets énoncent à leur manière les différentes étapes de la rédaction des évangiles :
1) Des événements se sont accomplis
2) devant des témoins oculaires
3) qui les ont transmis (tradition orale)
4) à beaucoup de gens qui ont voulu composer un récit (regroupement des traditions).
5) Luc s'informe exactement (il étudie les documents dont il dispose) ;
6) il dresse un plansuivi (il classe les documents) ;
7) il se met à écrire (rédaction)
8) à l'intention de Théophile (en fonction du public visé)
9) pour que celui-ci connaisse la certitude des enseignements reçus (en fonction du message qu'il veut transmettre).
Selon Matthieu
INTRODUCTION
L'Evangile selon Matthieu sert de portail d'entrée au Nouveau Testament. C'est souvent par lui que le lecteur s'initie à l'Ecriture sainte. Cette préférence n'est pas nouvelle. Mentionné le premier dans les listes canoniques alors que l'évangile de Marc a sans doute été rédigé avant lui (cf. « De l'Evangile aux quatre évangiles », p.${0000xEv4ev), Matthieu est le plus cité dès le debut de l'histoire chrétienne. Dans la Didachè*, qui remonte peut-être à la deuxième moitié du Ier siècle, on respire souvent l'atmosphère du premier évangile (cf. Mt 6.9n ). A la fin du Ier siecle, Clement de Rome semble en citer des éléments ; de même, au seuil du IIe siecle, les lettres d'Ignace* d'Antioche et celle de Barnabé*.
D'où vient ce privilège ? Matthieu est-il à ce point original ? Certes non. Sur les 1071 versets qui le composent, 330 semblent venir tels quels de Marc et 230 autres se retrouvent également dans Luc. La primitive Eglise eut pourtant bien des raisons de donner à Matthieu le premier rang.
Un évangile où Jésus enseigne et guérit
Matthieu, comme Luc, a vraisemblablement developpé l'Evangile selon Marc, au moins dans un état ancien, en y ajoutant des traditions sur les paroles de Jésus – certaines qu'il semble tirer d'un fonds commun partagé par Luc, d'autres qui lui sont propres (voir « Un document caché dans l'Evangile selon Luc ? », p.${0000xEvLc). Sa principale originalité est d'avoir composé une présentation solennelle du ministere de Jésus en deux tableaux encadrés par deux résumés rédigés en termes semblables (4.23 et 9.35). La proclamation de la bonne nouvelle se fait par l'enseignement (5-7) et par des actes salutaires (8-9). L'interprète de la loi est aussi celui qui sauve et guérit. La seconde originalité de Matthieu est d'avoir souligné le lien entre le Christ et ses disciples, en faisant suivre immédiatement cet ensemble par l'envoi des Douze (10), qui préfigure et prépare l'envoi final (28.16ss). L'ampleur de la tâche rend indispensable la participation des disciples à la proclamation de leur Maître, mais leur seule mission consiste a démultiplier son action.
Un evangile ou l'Ecriture s'accomplit
Des quatre évangiles, c'est Matthieu qui est le plus nourri de l'Ancien Testament : plus de 130 allusions et 43 citations formelles. Les chrétiens d'origine juive s'y trouvèrent donc en terrain connu, d'autant plus que Matthieu voit dans les événements qu'il décrit l'accomplissement de la Loi et des Prophètes (voir l'introduction à l'Ancien Testament, p.${0000xIntAT). Sous une forme variant à peine, cette idée d'accomplissement s'y rencontre au moins 11 fois (voir 1.22+) contre seulement 2 chez Marc, 2 chez Luc et 6 chez Jean.
A l'instar de l'Israël contemporain, les communautés dans lesquelles l'Evangile selon Matthieu a vu le jour comprenaient de toute évidence des scribes* (23.34). Sans doute le rôle de ces scribes chrétiens consistait-il non seulement à transmettre l'enseignement de Jésus et à l'appliquer à des situations nouvelles, mais aussi à relire les Ecritures d'Israël à la lumiere des paroles et de la vie du Maître. Tout porte à croire que Matthieu dévoile son propre programme dans cette remarque : Tout scribe instruit du règne des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (13.52).
Un évangile facile a mémoriser
Pour l'Eglise naissante chargée de porter la bonne nouvelle du salut jusqu'aux confins de la terre, l'Evangile selon Matthieu met en œuvre des moyens mnémotechniques qui rendent plus aisées la transmission et la mémorisation de l'enseignement du Maître :
Les regroupements numériques
Les chiffres 7 et 3 semblent être ici en faveur, d'une manière encore plus nette que chez Marc et chez Luc. Ainsi, les sept demandes du Notre Pere (6.9-13), les sept paraboles du règne ou du royaume (13.1-52), les sept «malheurs» proferés contre les pharisiens (chap. 23), sans compter les sept pains et les sept corbeilles restantes (15.32-39), les sept maris (22.23-33) et le pardon jusqu'a soixante-dix-sept fois sept fois (18.22); ainsi encore les trois tentations (4.1-11), les triades aumone-priére-jeune en 6.2-17, menthe-aneth-cumin et justice-compassion-foi en 23.23, et les trois prières dans le jardin de Gethsémani (26.36-46). Les deux chiffres sont peut-être combinés dans la généalogie du chapitre 1, ou Jésus-Christ apparaît au terme de trois fois quatorze (3x2x7) générations.
Les parallélismes
En 7.24-27 on trouve un parallélisme antithétique développé :
A Ainsi, quiconque entend de moi ces paroles
B et les met en pratique
C sera comme un homme avisé
D qui a construit sa maison sur le roc.
E La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont souffle et se sont précipités sur cette maison :
F elle n'est pas tombée, car elle etait fondée sur le roc.
A' Mais quiconque entend de moi ces paroles
B' et ne les met pas en pratique
C' sera comme un fou
D' qui a construit sa maison sur le sable.
E' La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison :
F' elle est tombée, et sa chute a été grande .
En fait les parallélismes abondent, souvent si brefs qu'on les remarque à peine, tel le modèle croisé (chiasme) de 16.25 :
A Car quiconque voudra sauver sa vie
B la perdra,
B' mais quiconque perdra sa vie
A' la trouvera.
Les répétitions structurelles
A cinq reprises une même formule vient ponctuer le texte, avec quelques variantes : Quand Jésus eut acheve ces discours... (7.28 ; cf. 11.1 ; 13.53 ; 19.1 ; 26.1). Elle fixe les limites des cinq grands discours de l'évangile et introduit à chaque fois une partie narrative, composée essentiellement de récits de miracles et de morceaux biographiques. Ces cinq cycles peuvent évoquer les cinq rouleaux de la loi mosaïque et suggérer au lecteur que le Christ est un nouveau Moïse – en fait, pour Matthieu, Jésus est plus grand que Moïse en ce que lui a autorité sur la loi (cf. les mais moi, je vous dis, du Sermon sur la montagne, Mt 5.22+). On a aussi discerné une répétition structurelle dans la formule des lors Jésus commença, en 4.17 et 16.21.
Donc, un texte facile à mémoriser et à transmettre. Encore fallait-il, pour expliquer la faveur dont il fut l'objet, que le contenu de l'évangile fut pertinent ! Or, à l'évidence, Matthieu fournit aux communautés destinataires bien des éléments utiles à leur construction et à leur développement.
Un evangile pour se défendre
Si Matthieu a été publié vers l'an 80, comme on le pense d'ordinaire, il faut se souvenir de la situation religieuse de l'époque pour le bien comprendre.
Le temple* a été incendié et presque totalement détruit en 70, lors de la prise de Jérusalem par Titus. Le service sacrificiel a cessé. Aprés la ruine du temple, le clergé et les sadducéens* ont perdu la source méme de leur influence. Les pharisiens*, eux, pensent que seules leurs traditions peuvent permettre au judaïsme de surmonter la catastrophe. Comme substitut des sacrifices devenus impossibles, ils proposent l'observation et l'étude de la loi juive. Plus n'est question de pluralisme : la liste des textes sacrés acceptables (donc canoniques) est arrêtée ; il faut réglementer l'interprétation des traditions anciennes. Le judaïsme finira par introduire dans le service synagogal une prière contre les hérétiques, qui va pratiquement interdire l'accès de la synagogue à tous les opposants, et en particulier aux chrétiens (voir l'introduction à l'Evangile selon Jean, p.${0000xEvJn). A la fin du Ier siècle, le judaïsme sera devenu un judaïsme pharisien.
Les chrétiens seront non seulement exclus des synagogues, mais encore persécutés pour avoir reconnu en Jésus le Messie promis. Dès son introduction en forme de généalogie (1.1-17), l'Evangile selon Matthieu leur donne de quoi argumenter. Avec force, il annonce que Jésus est bien le Messie par excellence, fils d'Abraham le père fondateur, mais aussi fils de David, la figure messianique incontestée.
Le Christ récapitule en outre la destinée d'Israël. Tout comme le peuple, ce premier-né du Seigneur (Ex 4.22), il dut fuir en Egypte pour échapper à la mort et en remonter (Mt 2.13-15). Lui aussi dut passer au désert une période d'épreuve (4.1-11).
Pour Matthieu, ce n'est pas trahir Israël que d'adhérer au Christ Jésus. Lui seul est l'accomplissement de l'Ecriture. Seule son interprétation de la loi est normative (5.17ss) et non celles, accommodantes (19.8) et pourtant lourdes à porter (23.4), que recommandent les pharisiens. De sa propre autorité Jésus met l'amour au centre de la loi (5.43-48 ; 7.29 ; 22.34-40).
Un évangile qui prend l'offensive
L'Evangile selon Matthieu est aussi un texte de combat. Clairement et fortement, il affirme que rejeter le Christ, c'est rejeter Dieu. Et puisque telle est l'attitude des autorités juives, c'est l'Eglise, communauté de Juifs et de païens, qui recevra le Royaume (21.43).
Ces païens, on les trouve deja dans la généalogie. Et des femmes, souvent en marge de l'idéal du mariage ! Tamar, la belle-fille de Juda ; Rahab, la prostituée cananéenne ; Ruth, la Moabite ; Bethsabée, la femme d'Urie le Hittite (1.3nss). Celles-ci montrent que la lignée davidique, et à fortiori l'ascendance du Fils de Dieu, ne répond pas à des critères éthniques ou purement juridiques. Sont rejetés ceux qui se croient suffisamment justes au regard de la loi : les pharisiens eux-mêmes, denoncés pour leur hypocrisie et leur religion au visage double (5.20 ; 12.24ss ; 23). Les mysteres du royaume leur sont inaccessibles. D'où le parler en paraboles, qui laisse dehors les orgueilleux tandis qu'aux disciples de Jésus il est donné de connaître les mystères du règne des cieux (13.10-17).
S'il y a malheureusement rejet, il concerne davantage les autorités que les moutons perdus d'Israël (15.24 ; cf. 9.36). C'est vers ces derniers que va le Christ. C'est aussi vers eux qu'il envoie ses disciples (10.6). Cependant, en rapportant la guérison accomplie en faveur de la Cananéenne (15.21ss), Matthieu suggère aussi que tous, les non-Juifs comme les pécheurs d'Israël (9.9-13), sont finalement au bénéfice de la bonne nouvelle (cf. 28.16ss).
Un évangile pour les disciples
Les ennemis dénoncés, reste à donner un contenu à la foi. Plus que tout autre, l'Evangile selon Matthieu mettra en valeur l'etat de disciple (73 fois dans le premier évangile, contre 46 chez Marc et 37 chez Luc), au point qu'on peut le considérer comme un manuel destiné aux disciples.
Tout disciple a besoin d'un enseignement. Au cœur de l'Evangile selon Matthieu, le premier des cinq discours, le «Sermon sur la montagne» (chap. 5-7), constitue la charte du royaume. En trois chapitres d'une richesse et d'une densité inégalées sont regroupés des encouragements (p. ex. les béatitudes, 5.1-12), les fameuses antithèses sur l'interprétation de la loi où Jésus dépasse la casuistique pharisienne (5.27-48), des conseils de piété (p. ex. sur la prière, 6.5-18), des mises en garde aussi (p. ex. ne pas amasser des trésors sur la terre, 6.19). Dans son expérience quotidienne, le disciple se rapportera sans cesse à cet enseignement d'une redoutable exigence, puisque c'est la perfection divine qui est ici la référence : Vous serez donc parfaits, comme votre Père cèleste est parfait (5.48). Mais cette perfection est celle d'un Dieu plein de sollicitude, le Créateur qui dispense ses bienfaits sur les méchants comme sur les bons (5.45). La parole absolue, excessive, de Jésus, n'est pas une simple morale plus performante que les autres. Elle est la parole même du règne de Dieu qui fait surgir, pour celui qui la reçoit dans la foi, une nouvelle compréhension de Dieu, du monde et des autres.
S'il se préoccupe fortement du disciple pris individuellement, Matthieu le considère aussi en tant que membre d'une communauté, au point que le premier évangile est souvent appelé « l'évangile de l'Eglise ». Le discours du chapitre 18 énonce les règles fondamentales de la vie communautaire : être humble comme un enfant ; ne pas constituer une occasion de chute pour ses frères ; rechercher la brebis égarée ; pardonner sans limite.
Le discours missionnaire (chap. 10) rappelle en outre à la communauté des disciples que la foi est mission, résumée en six verbes qui sont autant de défis : aller, proclamer, guérir, réveiller, purifier, chasser. Ce discours prépare l'envoi final (28.16ss).
Etre disciple, enfin, c'est attendre le Maître qui doit revenir. La fin des temps et ses corollaires, le retour du Christ et le jugement, jouent un rôle déterminant chez Matthieu (on peut retrouver la notion de jugement dans près d'un paragraphe sur deux).
Il fait peu de doute que les premiers chrétiens furent surpris et désappointés : le Maître ne tardait-il pas à venir ? Le dernier discours (chap. 24-25) est donc là pour rassurer. Ils n'ont pas à craindre le temps qui passe. L'homme parti en voyage ne revient que longtemps après (25.19). Dans l'intervalle, il leur faut veiller (24.13,42,44), non pas d'une veille stérilement attentiste, mais d'une veille active dans la foi. Le jugement vient en effet qui séparera les moutons des chèvres, les justes des injustes, ceux qui auront secouru les malades, visité les prisonniers et accueilli les étrangers, de ceux qui se seront enfermés dans une coupable abstention (25.31-46).
Un évangile de l'éternelle présence
Lorsque l'enfant paraît à Bethléem, Matthieu rappelle par une citation d'Esaïe quel doit être son nom : Emmanuel, ce qui se traduit: Dieu avec nous (1.23).
Lorsque le Christ apparaît après la résurrection, il laisse cette promesse aux Onze venus le retrouver en Galilée : Je suis avec vous tous les jours, jusqu'a' la fin du monde (28.20).
Cette inclusion qui ouvre et referme l'évangile n'est pas pur artifice littéraire. A la différence de Luc, Matthieu ne rapporte pas l'ascension du Christ. Ainsi, la dernière parole que nous laisse le premier évangile est, pour ses destinataires initiaux comme pour nous, celle d'un Christ qui demeure éternellement avec les siens.
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