INTRODUCTION
Plusieurs indices convergent vers une datation du livret de Malachie entre 473 et 430 av. J.-C. : la mention du gouverneur (1.8) évoque selon toute vraisemblance la domination perse ; la pratique du culte sacrificiel, dans un temple visiblement reconstruit, suggère que nous sommes après 512 av. J.-C. ; enfin la polémique contre les mariages avec des étrangères semble annoncer celle d'Esdras, plus radicale encore.
Malachie signifie « mon messager » ou « mon ange* » (voir 3.1 où le même mot est employé). La vénérable version grecque des Septante (LXX*) l'a interprété comme un nom commun, en traduisant son messager (ce qui correspondrait à l'hébreu mal'ako au lieu de mal'aki). La tradition cependant y a vu le nom propre de l'auteur.
Le procédé d'exposition relève d'un style très particulier : celui du dialogue fictif avec un opposant. Il est possible, sans trop presser le sens, de distinguer alors une série de six argumentations. En voici les contours :
I. 1.2-5 : A la question « le Seigneur (YHWH) nous aime-t-il vraiment ? » (cf. 1.2), la prophétie répond en invoquant l'exemple troublant de la préférence de Dieu pour Jacob (= Israël) au détriment d'Esaü (= Edom). Aux yeux du prophète, la récente conquête d'Edom par les Arabes nabatéens prouve que l'antique promesse est toujours en vigueur.
II. 1.6–2.9 : A la question « à quoi bon le culte, puisque le Seigneur ne nous est tout de même pas favorable ? » (cf. 1.7,9), la prophétie répond par l'énumération des tricheries du peuple et de ses prêtres dans l'exercice du culte. Avec des offrandes défectueuses et des prêtres infidèles, Lévi renie l'alliance de paix que Dieu avait conclue avec lui pour le sacerdoce (2.4-8). Le prophète incite ses lecteurs à la jalousie en affirmant que le nom du Seigneur (YHWH) est grand parmi les nations (1.11) — ce qui pouvait évoquer, au moins pour les prêtres, l'idée scandaleuse d'un culte non juif supérieur à celui des « fils » même de YHWH (1.6).
III. 2.10-16 : A la question « pourquoi le Seigneur n'a-t-il plus égard aux offrandes ? » (cf. 2.13s), la prophétie répond en plaçant le débat sur le plan de la conduite individuelle en matière matrimoniale. Mariages étrangers et répudiations caractérisent en effet le laxisme spirituel des déçus de la restauration. « Nous avons tous le même ancêtre, commun à Israël et à Edom : c'est Isaac », disent-ils. L'alliance des patriarches est le fait du même Dieu, semble encore plaider l'auteur de l'abomination notoire commise à Jérusalem (2.11). Mais les choses se corsent encore davantage en 2.14s. Selon certains, ces versets viseraient le comportement du grand prêtre, qui aurait répudié la femme de sa jeunesse pour épouser ensuite une jeune Edomite dont il attendait une descendance divine. Mais Dieu ne prêtera pas son appui à de pareilles infidélités : détestable est la répudiation (2.16).
IV. 2.17–3.6 : A la question « où est la justice de Dieu, si celui-ci reste indifférent au mal ? » (cf. 2.17), la prophétie répond que le jour du jugement vient, terrible et soudain (3.1s). Le messager du Seigneur en sera l'artisan. Son jugement purifiera la caste sacerdotale et rétablira ainsi les conditions d'un vrai culte dont les offrandes seront agréées (3.3). Du même coup la sorcellerie, les faux témoignages et l'injustice disparaîtront.
V. 3.7-12 : A la question « en quoi devons-nous revenir à Dieu ? » (cf. 3.7), la prophétie répond en évoquant une sécheresse et une invasion de sauterelles (3.11), qu'elle présente comme la conséquence des fraudes commises à l'égard de l'impôt du temple (3.10). Le cœur partagé conduit à un culte de pure forme où la relation avec le Seigneur est rompue. La loyauté dans ce domaine, en revanche, ferait de Juda un pays de délices (3.12).
VI. 3.13-21 : A la question « qu'avons-nous gagné à observer les commandements du Seigneur et à porter le deuil devant lui ? » (cf. 3.14), la prophétie répond que ceux qui honorent le nom du Seigneur (YHWH) ne seront pas oubliés : un livre conservera leur souvenir (3.16). La justice s'exercera au jour du Seigneur. Elle éliminera les hautains et les méchants ; mais ce sera la gloire des serviteurs fidèles au soleil de sa justice (3.18ss).
La conclusion générale (3.22-24) exhorte à observer la loi de Moïse et désigne Elie, le prophète, comme le héraut de la justice à venir et l'agent d'une conversion massive du peuple. Cette conclusion s'applique d'abord au livret de Malachie, mais elle con-vient admirablement pour clore le cycle entier de la prophétie biblique.
Parmi les thèmes propres à cet écrit et qui méritent quelque réflexion, on doit citer la reprise de l'idéal réformateur pour lequel ladoctrine et leculte sont des éléments essentiels de la vie de la communauté sainte ; l'élargissement des perspectives à toutes les nations (1.11) ; le refus des arguties en matière de mariages mixtes (2.10) ; le thème du jugement purificateur (chap. 3) ; la métaphore du soleil de la justice (3.20), unique dans la Bible et qui, comprise du Christ, a largement influencé la fixation de la fête de Noël au solstice d'hiver.
On sait le relief que prendra dans les évangiles la figure d'Elie : type et modèle de Jean le Baptiseur (cf. Mt 11.14 ; 16.14 ; 17.10ss/ /), mais aussi, à la Transfiguration, symbole de la prédication des prophètes aux côtés du législateur Moïse (Mt 17.3s/ /). Nul doute, donc, que le livre « Malachie » est apparu aux premiers chrétiens comme un tremplin vers l'Evangile.